Le web est-il en train de mourir ?

Le titre peut sembler provocant, je vous l’accorde, mais après tout, les sites web sont l’ossature visible d’Internet depuis près de trois décennies, et puis ces derniers temps, un doute me trotte dans la tête (et peut-être dans la vôtre aussi) : avec l’essor fulgurant de l’intelligence artificielle, notamment les moteurs de recherche génératifs et les chatbots façon ChatGPT, ne serions-nous pas en train de vivre un tournant majeur ?… Celui où l’on délaisse les pages web pour s’en remettre aux réponses toutes faites de ces nouvelles IA.

Est-ce qu’on exagère ? Peut-être bien. Ou peut-être pas. Mais de nombreux signaux comme le très récent avènement de Google Overviews outre-atlantique (au moment de la rédaction de ce billet) témoignent sans le moindre doute d’un changement de paradigme.

L’IA conversationnelle, nouveau réflexe de recherche

Il y a 3 ans, on surfait d’un site à l’autre pour trouver une info. Aujourd’hui ? On discute. Avec ChatGPT, avec des assistants vocaux et des IA intégrées un peu partout. De plus en plus de personnes adoptent des comportements similaires, posant leurs questions directement aux IA, comme on le ferait avec un moteur de recherche classique. Et je le comprends (pour tout dire, ça m’arrive aussi sur des sujets pointus, presque par réflexe). ChatGPT est devenu en un temps record l’un des sites les plus fréquentés au monde. Début 2025, son site web figure carrément dans le top 5 mondial en nombre de visites, dépassant par exemple Wikipédia.

ChatGPT est le 8e site le plus visité au monde actuellement. © Similarweb

Pourtant pilier historique du web, Wikipedia a vu son trafic décliner (environ 6 % de visites en moins récemment) tandis que les internautes affluent sur le chatbot d’OpenAI. Les gens ne naviguent plus sur le web, ils se dirigent directement vers ChatGPT, remplaçant silencieux de l’ancien web.

Faut-il s’en étonner ? Pas vraiment. À force d’obtenir des réponses instantanées et personnalisées en langage naturel, sans pub ni fioritures, on prend goût à ce confort. Pourquoi parcourir dix pages web et jongler entre les onglets quand une IA peut nous mâcher le travail ? Moins de clics, plus de résultats clés en main. Le phénomène ne se limite d’ailleurs pas aux moteurs de recherche : il touche aussi les forums et communautés en ligne. Qui ne s’est pas surpris à poser directement à ChatGPT une question que l’on aurait autrefois postée dans sa communauté en ligne préférée ? Forcément, ces plateformes communautaires ressentent la concurrence de l’IA, qui siphonne une part de leurs échanges et de leur trafic. Reste à savoir ce qu’on y perd au passage…

Obtenir des réponses sans clic : l’économie du Search en pleine mutation

Souvenez-vous de la page de résultats Google avec ses liens bleus bien ordonnés. C’est presque en voie de nostalgie. Depuis quelques mois, Bing a ouvert la brèche en greffant ChatGPT à son moteur, et Google a riposté avec son propre mode IA, nommé SGE (Search Generative Experience). En clair, le moteur ne se contente plus de lister des sites : il synthétise une réponse complète, sous vos yeux, en piochant ses informations sur le web. Comme si l’IA lisait les pages à votre place pour vous en faire le résumé. Pratique ? Assurément. Mais pour les sites web qui fournissent la matière première, c’est une autre histoire…

Google SGE

Supercharging Search with generative AI – Google SGE ©Google

Google a beau promettre de continuer d’envoyer un trafic précieux vers des sites web en intégrant l’IA dans Search, les éditeurs de contenu tremblent un peu beaucoup. Et on les comprend : plusieurs études anticipent un effondrement du trafic organique en provenance des moteurs. L’ampleur fait débat (on parle d’une perte de 18 % à 64 % selon les estimations) mais la tendance est claire. Pourquoi ? Parce qu’une partie grandissante des utilisateurs obtiennent leur réponse sans même cliquer. Le fameux « zéro clic » tant redouté par les référenceurs. « Pour de nombreuses recherches informationnelles, Google apportera directement la réponse à l’utilisateur », souligne par exemple David Groult, expert SEO. Autrement dit, on pose sa question, on lit la réponse… et on ne va pas plus loin. Le site web en bout de chaîne n’est pas visité, invisibilisé malgré lui.

Et il y a une ironie : à trop bien répondre sans clic, le moteur lui-même pourrait y perdre… un utilisateur qui ne clique sur aucun lien, c’est aussi un utilisateur qui ignore les publicités sponsorisées. Google marche sur un fil, tentant de satisfaire nos attentes tout en préservant son modèle économique – un jeu d’équilibriste inédit qui questionne tout l’écosystème du Search et bien entendu les modèles et plus globalement l’économie de l’Acquisition.

Il ne s’agit pas que de Google d’ailleurs. Qu’ils soient dans votre salon, en SaaS ou greffés dans vos réseaux sociaux, les assistants IA en général bouleversent ce schéma d’accès à l’information. Ils court-circuitent les liens bleus de nos bonnes vieilles pages de résultats, absorbent l’intention et l’attention de l’utilisateur, et rendent purement et simplement les clics obsolètes. Ce changement entraîne déjà une mutation profonde dans l’économie du Search, redéfinissant la manière dont les sites sont conçus et optimisés. Jusqu’à aujourd’hui centrée sur l’optimisation pour les moteurs de recherche « traditionnels » seuls, l’approche se déplace vers une adaptation aux nouvelles habitudes des utilisateurs, qui privilégient de plus en plus les IA, les assistants personnels et les réseaux sociaux pour trouver l’information, comme peuvent en témoigner, entre autres, les investissements massifs de Meta ces dernières années. Les sites web, tout en conservant leur rôle de fournisseurs de contenu, doivent s’ajuster à cette nouvelle réalité où l’acquisition de trafic ne passera plus uniquement par les moteurs de recherche, mais aussi par ces nouvelles interfaces conversationnelles et sociales.

De la SEO au GEO : s’adapter à l’ère des IA

Alors, faut-il enterrer le SEO classique ? Pas si vite.

Certes, le principe du référencement tel qu’on le connait (gagner des places sur Google ou Bing pour attirer des visiteurs) prend un sérieux coup de vieux, mais il ne disparaît pas du jour au lendemain. Comme le disais Neil Patel récemment à l’occasion d’une conférence organisée à Paris : « Les bonnes pratiques du SEO classique s’appliquent largement aux LLMs (grands modèles de langage, ndlr). Les fondements restent identiques. D’ailleurs, les contenus bien positionnés sur Google ont bien plus de chances d’être repris dans des outils comme ChatGPT. L’un nourrit l’autre: il ne s’agit pas de choisir, mais d’aligner les deux. » Le SEO se transforme et on parle d’ores et déjà d’une nouvelle discipline, le GEO (Generative Engine Optimization), destinée à optimiser un contenu pour les moteurs d’IA. L’idée, en gros : là où le SEO visait à faire venir l’internaute sur votre site, le GEO cherche à faire venir votre contenu dans la réponse de l’IA. Subtil changement de paradigme… qui demande pas mal de gymnastique intellectuelle aux équipes en agences.

Concrètement, cela signifie quoi ?

Que la valeur d’un contenu ne se mesurera plus seulement en clics, mais aussi en citations par l’IA, en visibilité indirecte. Un article ultra-pointu qui est repris comme source par un moteur génératif, c’est une victoire, même si l’utilisateur final ne vient pas lire l’article complet. D’une certaine façon, on entre dans l’ère du lecteur invisible : l’IA devient l’intermédiaire qui sert nos contenus à des internautes qui ne verront peut-être jamais notre page. Frustrant ? Un peu, oui. Mais c’est peut-être le prix à payer pour rester pertinent dans ce nouvel écosystème.

Rassurons-nous : site web et IA peuvent cohabiter. L’optimisation pour les moteurs génératifs ne remplace pas le SEO traditionnel, elle le complète, pour ainsi dire. Il faut d’ores et déjà jouer sur les deux tableaux, continuer à soigner ses pages web pour les visiteurs « classiques » (et il y en aura toujours), tout en ajustant le tir pour plaire aussi aux algorithmes d’IA. Nos rédacteurs et spécialistes SEO en agence structurent leurs contenus de manière à faciliter l’extraction d’informations clés (titres clairs, FAQ, données bien mises en avant), ou encore à renforcer l’autorité et la fiabilité perçue de leurs pages.

Déjà valorisée par Google pour le SEO, une dynamique semble également s’imposer en GEO : la force, l’aura de la marque pourraient bien jouer un rôle prépondérant dans l’indexation des sites par les IA. Les algorithmes privilégient déjà les sites des marques ayant su bâtir une autorité perçue solide, sur la base de leur réputation, de leur expertise et de leur popularité online (les mentions en lignes). Personne n’a de recette magique (c’est un terrain tout neuf), mais une chose est sûre : on ne peut plus faire l’impasse sur ces questions.

Spoiler : le web est bel et bien vivant ! 

Ce ne serait pas la première fois qu’on annonce la fin des sites web 😉

Souvenez-vous, au tournant des années 2010, certains prédisaient déjà que les applications mobiles allaient supplanter les pages web. En 2010 Wired sonnait la fin du Web en décrivant « le passage d’un Web ouvert à des plateformes fermées qui utilisent Internet sans le navigateur… un monde que Google ne peut pas indexer, où le HTML ne règne plus ».

En 20210 le magazine Wired titrait même "The Web is Dead"

En 2010 le magazine Wired titrait même « The Web is Dead »

Quinze ans plus tard, le web est toujours là. Pas tout à fait le même qu’avant, certes, une bonne partie du trafic s’est déplacée sur mobile, dans les apps ou les réseaux sociaux, mais les sites web n’ont pas disparu pour autant. Ils se sont adaptés, intégrés dans de nouveaux écosystèmes.

Je parierais donc plutôt sur une énième métamorphose.

La toile évolue, comme elle l’a toujours fait. L’IA générative va sans doute rebattre les cartes du jeu en profondeur,. Nos sites web resteront indispensables pour fournir la matière, mais la source de leur trafic aura migré vers un ecosystème LLM (Large Language Model) x Web traditionnel.

En attendant, ne sonnons pas trop vite le glas. Il va y avoir des ajustements, des résistances, et sans doute des surprises mais les pages web, les blogueurs, les créateurs de contenu ne vont pas s’évaporer du jour au lendemain parce que les marques et les entreprises auront toujours besoin de lieux de référence, maîtrisés, durables, pour structurer leur discours, affirmer leur positionnement, héberger des preuves, construire leur légitimité. Un site web, ce n’est pas juste une vitrine : c’est un espace propriétaire, un point d’ancrage dans un écosystème numérique mouvant. C’est aussi, de plus en plus, un terrain d’influence discrète : un lieu où publier du contenu accessible, indexable, crawlé par les IA (comme vu plus haut), pour nourrir les réponses de demain, peser dans les corpus d’apprentissage, faire exister sa voix dans les résultats générés. Là où les réponses des IA sont volatiles, souvent décontextualisées, parfois non sourcées, un site web reste un repère, une ressource, un support de confiance.

Peut-être verrons-nous émerger des labels de confiance garantissant « une info humaine certifiée ». Peut-être aussi que les créateurs de contenus exigeront leur dû : on entend déjà des voix s’élever pour que les IA génératives rémunèrent les données qu’elles consomment, à l’image des droits voisins obtenus par la presse face à Google il y a quelques années. Bref, l’avenir du web se jouera peut-être aussi sur ce terrain-là.

Une chose est sûre : le débat est loin d’être clos. Le web tel que nous le connaissons change de peau, mais il est trop résilient pour mourir complètement. À nous de nous adapter, d’innover, et de rester lucides sur les risques comme sur les opportunités. Personnellement, en tant que passionné du numérique, je vois dans cette évolution une source de défi permanent – un de plus ! – qui nous oblige à repenser nos façons de faire, sans paniquer mais sans dormir sur nos lauriers non plus.

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