La plateforme de sens : le nouvel enjeu des marques à l’ère de l’IA

plateforme de sens

L’adoption massive de l’intelligence artificielle dans les entreprises ne se limite pas à une question d’outillage ou de productivité. Elle agit comme un révélateur brutal des choix profonds : ce que l’on valorise, ce que l’on sacrifie, ce que l’on incarne vraiment.

Et dans ce basculement technologique, les plateformes de marque (ma définition dans cette tribune) deviennent un terrain critique, car elles sont souvent les premières à trahir, par omission ou par excès, ce que la marque est en train de devenir.

J’explore (à date) donc dans cet article deux tensions/questions majeures : comment intégrer l’IA sans dissoudre l’âme de la marque, et comment maintenir la cohérence entre outils, discours et identité, alors même que la transformation s’accélère souvent plus vite que la clarté des arbitrages.

L’adoption de l’IA est un levier technologique, mais aussi un révélateur identitaire

Je l’écrivais précédemment, l’introduction de l’IA dans une organisation pose des choix radicaux. Automatiser certaines tâches ? Très bien. Mais dans quel but ? Pour produire plus vite ? Pour réduire des coûts ? Pour libérer du temps humain ? Pour rendre un service plus personnalisé, plus accessible, plus utile ? Derrière chaque cas d’usage se cache une intention. Et cette intention, qu’elle soit explicite ou non, est l’expression d’une vision du monde, d’un rapport à la valeur, d’un rapport à l’humain.

C’est là que la dissonance peut apparaître : entre une plateforme de marque qui continue de valoriser l’écoute, la relation, la créativité ou la proximité par exemple, et des choix opérationnels qui, par pragmatisme ou mimétisme, les contredisent en backoffice. #HumanWashing

La plateforme de sens éclaire le rôle de l’humain dans la trajectoire de la marque

La plateforme de sens agit comme un filtre stratégique. Elle définit ce qui reste intangible et éclaire les grands principes de la plateforme de marque. Là où la plateforme de marque structure l’identité (raison d’être, valeurs, promesse, preuves), la plateforme de sens explicite les arbitrages fondateurs : ce que l’entreprise choisit de préserver, d’amplifier ou de refuser face aux mutations technologiques, sociales et culturelles.

Ma définition serait donc qu’elle est une matrice d’intention qui définit la place de l’humain, le rapport au progrès, les limites/cohérences éthiques acceptées, les zones de responsabilité assumées. En d’autres termes, la plateforme de sens est le filtre ultime qui permet de distinguer l’opportunisme de l’ancrage. Elle devient ainsi le chaînon manquant entre stratégie de marque et stratégie RSE, en inscrivant les arbitrages éthiques et sociétaux au cœur même de l’identité et de la performance de l’entreprise.

La plateforme de marque doit rester une boussole alignée

Une bonne plateforme de marque (qui plus est, bien utilisée) est un véritable cadran d’orientation. Elle dit ce que l’entreprise veut incarner dans le temps, face au monde, pour ses clients comme pour ses équipes. Si l’IA modifie en profondeur la façon dont on délivre sa promesse, il devient incohérent de conserver une plateforme figée, d’autant que la dissonance sera très rapidement perçue.

Prenons quelques cas concrets :

  • Une marque qui revendique une approche artisanale ou ultra-humaine, et qui délègue 80 % de sa relation client à un chatbot générique.
  • Une entreprise qui se dit centrée sur la responsabilité et la sobriété, mais qui multiplie les usages énergivores d’IA générative sans arbitrage.
  • À l’inverse, une société qui déploie une IA au service de l’inclusion (langage simplifié, accessibilité automatisée), mais qui ne le traduit nulle part dans sa plateforme ou ses prises de parole.

Dans les trois cas, on observe soit une rupture, soit une occasion manquée d’alignement stratégique, un ajustement devient nécessaire et il évitera les dissonances voire – pire-  l’effondrement du capital-marque. Car les signes de perte de confiance sont toujours les mêmes :

  • Des clients qui perçoivent une dissimulation ou une tromperie : « on me parle d’écoute, mais je parle à une machine »
  • Des collaborateurs qui ne s’y retrouvent plus : « on valorise l’humain mais on valorise surtout les outils »
  • Des parties prenantes qui n’accordent plus de crédit aux engagements de fond : « ils parlent de sobriété mais font tourner 30 prompts par seconde »
  • Des communautés qui décrochent car le vernis narratif ne tient plus face à l’expérience réelle.

Le risque n’est pas que la marque adopte l’IA, le risque, c’est qu’elle l’adopte sans se reposer la question de qui elle est.

Là où la marque sous perfusion d’IA doit évoluer

Intégrer l’intelligence artificielle, c’est toucher à la structure même du “comment” : comment on conçoit, comment on produit, comment on sert. Mais ce “comment” rejaillit toujours sur le « pourquoi ». À mesure que les capacités techniques s’étendent, le périmètre de ce que la marque peut faire ne cesse de croître – mais celui de ce qu’elle doit faire devient plus flou. Clarifier ce que l’on veut rester avec une plateforme de sens permet donc d’anticiper ces zones grises. Cela n’implique pas nécessairement de tout réécrire, mais elle imposera un réexamen de quelques fondations.

À commencer par la raison d’être : dans un environnement où certaines dimensions humaines sont désormais partiellement déléguées, est-elle encore lisible, crédible, opérante ?

La promesse, elle aussi, mérite d’être réévaluée : ce que l’on apporte concrètement aux publics est-il amplifié par l’IA, transformé en profondeur ou insidieusement vidé de sa substance ?

Les valeurs fondatrices doivent également être relues à l’aune de ces nouveaux arbitrages. Certaines restent pleinement incarnées, d’autres nécessitent d’évoluer pour intégrer les enjeux d’éthique algorithmique, de transparence ou de responsabilité.

Le ton, les signes, la posture d’expression changent aussi : quand l’interaction passe par des interfaces automatisées, quelle place reste-t-il à la nuance, à l’émotion, à la singularité langagière ?

Enfin, l’impact sur l’interne ne peut être ignoré. La relation aux collaborateurs évolue profondément : l’IA redistribue beaucoup de choses, les rôles, les expertises, les marges d’initiative. Dès lors, il devient crucial ici aussi de clarifier la place laissée à l’intuition, à l’expérience, à la valeur humaine – et de dire, très concrètement, si l’IA est pensée comme une ressource ou comme une substitution.

Conclusion : vers des marques post-algorithmiques ?

L’IA n’est ni l’ennemie ni la solution. Elle redessine le terrain de jeu et contraint les marques à un exercice inédit : clarifier leurs véritables arbitrages de sens. Ce n’est pas une affaire de storytelling ou de parts de marché, mais une interrogation fondamentale : qu’est-ce qui demeure intouchable ? qu’est-ce qui mérite d’être amplifié ? qu’est-ce qui ne doit jamais être délégué à une machine ? Derrière ces choix, c’est notre rapport à l’essentiel – à l’humain – qui revient en première ligne. Et c’est peut-être sur cette lucidité-là que se distinguera la différence entre les marques qui traverseront le temps et celles qui ne seront que passagères.

 

 

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